Année 2345

Isaac venait de terminer sa première mission en tant qu’agent de liaison, en contact avec une escouade d’intervention. Travailler pour le renseignement, il le faisait depuis quelques mois déjà et commençait peu à peu à s’y habituer, au terme de nombreuses formations et de mises en pratique directement sur un terrain hostile. Travailler pour l’armée c’était tout autre chose et, au terme de sa première enquête de spectre affilié aux services secrets, en tant qu’infiltré et dépositaire de l’information – et donc de la connaissance – il avait eu le privilège de guider l’intervention de l’escouade Gamma. Un groupe prestigieux d’après ce que disaient les militaires. L’élite des forces armées. Isaac n’avait toujours pas compris pour quelle raison.

L’opération avait consisté au démantèlement d’un petit gang de narcotrafiquants, qui raffinaient voire faisaient des expériences pour concevoir de nouvelles drogues. Dit comme ça c’était un peu éloigné de son boulot de spectre, mais les petites mains qui raffinaient et travaillaient comme des forcenés, étaient des gosses illégaux. Officiellement ils n’existaient pas, c’était donc facile de les exploiter. Sa mission à lui avait été de trouver d’où ils venaient et de chercher des preuves. Ceci lui avait permis de connaître sur le bout des doigts ou presque, le fonctionnement de cette organisation pour identifier et confirmer l’élimination des cibles. On demandait de couper la tête du serpent pour le neutraliser, en espérant que la terreur engendrée par la venue des soldats fut suffisante pour empêcher toute reprise du réseau. De l’avis d’Isaac et sans se vanter, il aurait pu le faire lui-même, et tout seul, avec un simple couteau. Mais il ne fallait pas qu’on puisse le soupçonner pour la suite de son travail.

Alors, comme la mission s’était déroulée avec succès, et marquait une grande victoire de Pax-Europa sur le chaos et l’anarchie des bas-fonds (les mots de leur supérieur, il avait fallu à Isaac toute sa force mentale pour ne pas éclater de rire), il était apparemment d’usage de fêter ça dans un bar, non loin du quartier général des escouades liés aux renseignements. Ce bar avait dû être créé exprès pour des soldats de ce genre et d’ailleurs, sa seule clientèle était militaire. On avait invité le spectre à se joindre à cette troupe de dix lascars, et on pouvait dire qu’il contrastait dans ce décor. Isaac n’avait rien d’un militaire, ni la coupe réglementaire, ni le maintien, encore moins le look. En fait, en dehors des Rangers aux pieds, il n’avait rien de commun avec les Gammas. A vrai dire, c’était dans ces moments-là que la Légion lui manquait atrocement. Mais bon, on lui offrit une bière, c’était déjà ça.

Il s’assit à une table où se trouvaient trois soldats Gammas, il ne se souvenait plus de leur numéro mais leur commandant lui, était accoudé au bar, directement. Ils étaient peut-être parmi les plus jeunes de ce groupe, et l’un d’eux, avait tout juste quelques années de plus que lui, à tout péter. Matricule 303 sirota sa bière en ignorant une remarque désobligeante sur les spectres, en arguant que c’était de l’humour. Évidemment, ils étaient 10, lui était tout seul. Mais insulter un spectre c’était s’en prendre à toute la Légion et tout le monde ignorait au juste, combien ils étaient. « D’abord j’étais sceptique… », annonça l’un. « Quand on m’a dit que c’était un spectre qu’allait nous guider. J’ai toujours cru, c’est pas contre toi hein, que vous n’étiez bons qu’à vous en prendre à des femmes et des enfants ! » Éclat de rire général à la table et autour pour ceux qui avaient entendu.

Isaac reposa lentement sa pinte. Il posa son regard d’acier sur le trublion et ne se força même pas à sourire. « C’est que, pour le reste, personne n’a été témoin de spectres en action. », rétorqua-t-il. La discrétion, ça les connaissait pour de vrai. Pas comme à ces amateurs accros de la gâchette. Et avec un sourire sarcastique, Isaac ajouta : « Moi par contre, j’ai pas compris pour quelle raison l’armée vous encense comme des élites. En fait, j’ai pas compris pourquoi on a besoin d’élites dans l’armée, tout court. On a pas ce concept dans la Légion… vu qu’on nous entraine déjà comme tel quand on est gosses. » La hache de guerre était déterrée.

Voilà une nouvelle mission réussie pour l'escouade Gamma. William Brown, alors âgé de 33 ans à cette époque n’était pas encore le commandant de cette prestigieuse unité. Mais un simple membre. Cela faisait maintenant un peu plus d'un an qu'il avait intégré les rangs de la Gamma, et il avait atteins le rang de Gamma 9. Un rang pas particulièrement prestigieux, mais suffise ment pour ne plus être considéré comme un nouveau. A dire vrai, si officiellement tous les Gammas étaient considérés sur un même pied d'égalité (hormis le Primus qui était clairement désigné comme le chef), les soldats avec les matricules les plus hauts devaient encore faire leurs preuves au sein de l'escouade. Alors, avoir atteins le rang de Gamma 9 signifiait que William avait fait ses preuves. Ceci, le soldat en était conscient, et fier. Il faisait maintenant totalement parti de cette escouade, comme son père avant lui. William frémit à la pensée de son père. Il avait eu la chance de ne jamais avoir à parler de lui dans son équipe, mais il savait très bien que le sujet pourrait débarquer à tout moment. Et à ce moment là, William ne savait pas vraiment si il allait rester calme. C'est que parler de son père faisait parti des choses que William détestait le plus.

Gamma 9 était assis à table aux cotés de ses frères d'armes. L'escouade célébrait la réussite de l'opération dans un bar proche du quartier général. Certains auraient qualifiés cette opération de mission de routine. Le démantèlement de petits gangs de narcotrafiquants ne faisaient pas parti des missions les plus délicates que la Gamma pouvait être amenée à réaliser. Cependant, pour ces soldats d'élites, chaque nouvelles missions étaient considérées comme un nouveau défi. Et c'est une des choses qui faisait de la Gamma une des meilleures, aucune missions n’était prise à la légère, elles étaient toute préparés avec autant de soin. Et une fois déposés sur le théâtre d'opération, chacun des membres connaissait sa mission, et le tout fonctionnait comme une machine bien huilée.

Pour mener à bien cette mission, un membre de la légion des spectres avait été assigné afin de prêter main forte à l'escouade. William ne savait pas vraiment quoi penser de cette assignation, il était fréquent que des agents de renseignements collaborent avec l'escouade, mais rarement des spectres. A dire vrai, William n'avait guère d'avis sur eux. Ils n’opéraient pas dans le même type de missions, donc « chacun son job » pensait-il. Le spectre, qui répondait au nom d'Isaac Maxwell n’était clairement pas là pour rigoler, ni même pour sourie d'ailleurs. Durant toute la phase de préparation et d'intervention de l'opération, il 'avait jamais vu Isaac esquisser le moindre sourire... A moins que ces grimaces qu'il faisait de temps en temps correspondaient à un sourire. Malsain pensait alors William.  

William, lorsqu'il sortit de ses pensées mit un court moment avant de reprendre pleinement possession de son esprit. Lorsque ceci fut fait, il saisit sa peinte et but une, puis deux, puis trois gorgées de bière avant de déposer à nouveau son verre sur la table. Puis il s'adossa au dossier de sa chaise, croisant les bras et écoutant silencieusement les conversations des autres membres de l'escouade, intervenant dans la conversation lorsqu'il jugeait cela nécessaire et pertinent. Cependant, lorsque l'un des membres de l'escouade prit à parti le spectre, tenant des propos pour le moins rétrogrades sur les spectres, William plissa les yeux, prit son verre en main avant de se ré appuyer sur son dossier en sirotant sa boisson à petite gorgée. Même si ceci avait été dis sur le ton de la plaisanterie, le spectre n'avait pas l'air de trouver ça très drôle. Il avait posé sa pinte et avait commencé à répondre, dénigrant l'armée et l'escouade elle même.

Alors. William n'avait pas prévu de prendre parti dans cette discussion, mais ce genre de mots à l'encontre de lui et ses frères d'armes... Non il pouvait pas laisser passer ça. Il prit une dernière gorgée avant de répondre au spectre d'un ton sarcastique.

En même temps, je veux pas foutre la merde... Mais vous avez pas tellement de mérite. Vous êtes entraînés depuis tout petit, heureusement qu'on vous considère comme une élite. Nous par contre, on a pas connu d’entraînement depuis notre plus jeune âge. Et pourtant, nous aussi on est considérés comme une élite. Et l'une des meilleures qui plus est. Alors maintenant, si tu t'en sens capable, tu pourrais connecter tes deux neurones et comprendre le subtil concept qu'est l'humour. (William exagéra sur ce dernier mot) Car oui, c’était bien de cela dont il s'agissait avant que tu nous dénigre.

William termina sa tirade en s’appuyant encore une fois à son dossier et en buvant une nouvelle gorgée, l'air nonchalant.

La remarque d’Isaac avait été comme un tir de mitrailleuse Gatling employée pour un peloton d’exécution. Un gros silence s’abattit tellement ils étaient tous soufflés par la soudaineté de sa violence. Et de son mépris. Il n’y en eut qu’un qui eut les couilles de lui répondre. Le spectre posa un regard sceptique sur l’homme, que son afficheur rétinien désigna comme s’agissant de William Brown. Oh, c’était censé être de l’humour ? Et bah merde alors ! Oh, il l’avait parfaitement compris, que c’était censé être drôle, sauf que ça ne l’était pas du tout. S’en prendre à la fonction des spectres, se moquer de leur mission, c’était s’en prendre à tous les spectres. C’était même, si on voulait, s’en prendre aux intérêts de l’État.

Isaac observa froidement le jeune homme pendant plusieurs secondes de silence, avant d’esquisser un sourire à en glacer les sangs. « Oh, c’était de l’humour si subtil que sur une échelle objective de 0 à 10, l’ensemble de vos vannes tellement tordantes doit se situer quelque part vers… moins l’infini. », lança-t-il en ricanant. De toute façon, il n’était pas encore assez imbibé d’alcool pour se mettre à rire pour n’importe quoi, et en particulier pour de la merde. Un à un, il dévisagea lentement les soldats attablés avec lui : pauvres petits qui n’avaient pas eu la chance d’avoir une instruction digne de ce nom dès l’enfance ! Les incapables adoraient se trouver des excuses. Et les imbéciles aimaient s’inventer des classements pour se mesurer entre eux, surtout concernant leur niveau de connerie. Il n’y avait pas de ça, une fois dans la Légion. Pas de numéro au-dessus d’un autre, pas de noms pour les décuries, on ne travaillait ni pour la gloire ni pour l’argent, seulement pour faire ce pour quoi on était là.

« Même à l’âge adulte, vous ne seriez pas capables de survivre à l’Internat. », susurra Isaac avant de porter sa pinte à ses lèvres pour en descendre un quart en un seul souffle, sans cesser de fixer William de son regard torve. Puis il la reposa dans un silence de mort avant d’ajouter : « Vous êtes trop fragiles. » Oui, à l’évidence, les Spectres étaient des créatures bien différentes des êtres humains qui avaient connu la chaleur d’un foyer et l’amour de leurs parents. Ils savaient à peine marcher que pour les endurcir, on les frappait pour les faire chuter afin de les forcer à se relever, encore et encore, et à ignorer la douleur, et à faire taire leurs pleurs à jamais. Le corps d’un enfant spectre était un amas de chairs déchirées et d’os constamment brisés, mais celui qui se laissait aller à boiter et à ralentir les autres, se prenait autant de pompes que nécessaires pour qu’il ait saisi qu’il avait plus intérêt à sauter à cloche-pied qu’à tenter de marcher comme un maladroit. Qu’importe ce qu’on leur faisait subir, soit ils se relevaient plus forts, soit ils mouraient. C’était l’instinct de survie qui les poussait à s’endurcir, c’était la seule chose qui comptait, et parce que personne ne leur avait offert le choix de s’engager, on se fichait pas mal de s’arrêter à temps avant un accident. A l’Internat, les spectres n’étaient ni dorlotés, ni bercés dans l’illusion orgueilleuse qu’ils valaient plus que les autres.

C’était en sortant de ce calvaire, en rejoignant les décuries plus expérimentés, qu’ils se rendaient compte par eux-mêmes, qu’ils n’étaient pas des moins que rien. Et que personne d’autre qu’eux étaient capables d’endurer tout ce à quoi ils avaient survécu pendant toutes ces années. Torturer un spectre était inutile : son tortionnaire craquerait de désespoir bien avant son mental. Ni loups, ni chiens, en meutes ils étaient féroces et en solitaire ils étaient bien pires encore. Les spectres n’étaient pas l’élite de l’humanité, ils en étaient les serpents les plus venimeux.

William se tenait avachis sur son siège, il regardait le spectre d'un air septique alors que celui-ci étalait à quel point il ne possédait aucun sens de l'humour ou de l'autodérision. Alors qu'il terminait sa pinte à grande gorgée, il fit un signe pour en demander une autre. La deuxième bière lui fut alors servi. Tout ce temps là, il était resté silencieux face au spectre, se contentant de le regarder d'un air provocateur. A dire vrai, William n'avait pas trouvé cet humour tordant non plus, mais si il avait été à la place du spectre, il se serait simplement contenté de sourire et de la fermer. Mais non, il avait fallu qu'il prenne ça au premier degré et qu'il commence à insulter l'escouade. Mais bon, William n'avait pas vraiment envie de se battre aujourd'hui. Après tout, si ils étaient là, c’était pour prendre du bon temps après une mission réussie. Alors, le soldat prit la parole d'un ton plus calme.

Allez, je te l'accorde, c’était pas la blague la plus drôle du siècle. Sur ce point on est d'accord.

Il se tut un instant avant de reprendre la parole d'un air plus dur.

Par contre, t'avais pas forcément à prendre ça au premier degré et te mettre à nous insulter gratuitement.

Si William parvenait à garder son calme, la moutarde commençait sérieusement à lui monter au nez. Il déglutit puis but quelques nouvelles gorgées avant de s'accouder à la table. Soudain, alors que Isaac évoquait une soit disant fragilité de la part de lui et de son escouade, il redressa sa tête et lança un regard noir, empli de violence et de colère au spectre debout devant lui. Insulter William de la sorte, c’était s'assurer un allé simple pour l’hôpital. Après ce que William avait surmonté, le harcèlement, les violences, les discriminations... Il était absolument hors de question qu'il laisse passer ça. Piqué personnellement, William se leva doucement, son verre à la main, puis il s'approcha du spectre, se tenant droit juste devant lui. Il le regardait droit dans les yeux. Il but une gorgée, puis prit la parole, d'une voix faussement calme.  

Écoute moi bien, spectre. Je te laisse approximativement trois secondes pour t'excuser ou te tirer d'ici. Si t'as pas disparu de ma vue dans les trois seconde. J'me ferai un plaisir d'écraser ta jolie petite gueule sur le bar.

A dire vrai, William savait très bien qu'il ne pourrait pas gagner un combat face à Isaac. Mais il en allait de son honneur de guerrier. Même si il finissait KO, William comptait bien en faire voire de belles à Isaac.

Ce qui n’avait pas l’air de frapper l’esprit du militaire – et en même temps, ce n’était pas très étonnant, les militaires n’étaient après tout pas engagés pour leur intelligence mais juste pour leur testostérone – c’était que la première remarque d’Isaac à leur encontre était du même niveau de sarcasme que son collègue. Des remarques de merde sur les Spectres, Isaac en entendait pratiquement tous les jours. Des blagues de merde aussi. Et il n’avait clairement pas la patience d’y voir quelque second degré que ce soit, ni l’envie d’ailleurs puisque tout cela lui cassait amplement les couilles. Bizarrement, les seuls à avoir eu un semblant de respect pour le boulot de merde que la Légion se farcissait, c’étaient ses nouveaux collègues des services secrets. Ce n’était pas la première fois qu’on débauchait un Spectre pour le renseignement, et au fond ce n’était pas pour rien.

Le regard perçant fixé sur William, matricule 303 sut qu’il venait de taper là où ça faisait mal, au moment même où il avait lancé sa pique acérée. Le poison de la faiblesse coulait sur son visage. Le militaire n’allait pas supporter qu’on le mette au jour. « Ce n’est pas de ma faute si la vérité est parfois douloureuse à entendre. », ricana Isaac avec un sourire mauvais. Et bingo, la menace tomba. Elle était d’un ridicule… Il croyait vraiment qu’il ferait peur à un spectre, le petit Gamma 9 ou je-sais-plus-combien ? Un rire mauvais s’échappa de la gorge du jeune homme, qu’il tut d’un sifflement ophidien. Avec une lenteur calculée, il se leva de sa chaise, les mains posées sur la table, pour être à la même hauteur que William et l’observer droit dans les yeux. Mais il n’y avait rien d’humain dans le regard du spectre.

Mais au lieu de s’excuser, il rétorqua simplement : « Le bar ? T’arriveras jamais jusque-là. » Et au même moment, il s’était emparé de sa pinte encore aux trois quarts pleine, sauf qu’il ne s’en alla pas de la table. Il prit juste assez de distance pour envoyer une droite dans la mâchoire du militaire, le lourd verre remplaçant son poing. Et faisant beaucoup plus mal, tout en renversant la bière sur la gueule de William au passage. Isaac se jeta à moitié sur la table comme un animal enragé pour agripper les cheveux du soldat par la racine et envoya son visage valdinguer à nouveau sur la chope, deux fois, trois fois, jusqu’à ce que le verre fissuré ne résiste plus et se brise en mille morceaux. Du tranchant de la main, il envoya des débris droit vers William afin de lui échapper en glissant souplement de la table. « Ta gueule à toi est beaucoup plus jolie maintenant. », se moqua-t-il alors qu’il fléchissait les genoux et toisait le militaire en garde de combat.

Pourquoi faisait-il cela ? Il aurait pu laisser passer, se boucher les oreilles intérieurement ou juste changer de table. Après tout, il n’en avait rien à foutre de leurs gueules, il n’en avait rien à foutre de qui ils étaient. Sauf qu’Isaac et les siens n’étaient pas des êtres civilisés. On ne les avait même pas éduqués comme des enfants normaux. Tout ce qu’il connaissait, c’était la violence, c’était d’être un prédateur, c’était de mordre le premier, le plus fort et le plus vite pour survivre. Tous ses réflexes, tous ses muscles avaient été câblés et entrainés pour ça. Et son esprit, lui, n’avait été formé que dans un seul but : la Légion. Aucun spectre ne fuyait face à la menace, il en riait plutôt.

Et au fond, surtout, c’était parce qu’Isaac en avait envie.

William s'attendait à tout, sauf à ce que le spectre quitte la pièce ou s'excuse. A dire vrai, il s'attendait à ce qu'un affrontement se déclenche d'une seconde à l'autre. Et le Gamma y était prêt. Il ne gagnerai certainement pas le combat qui s'annonçait, mais certainement que ses frères d'armes le rejoindraient. Et dans ce cas, le spectre aussi fort qu'il était ne pourrait pas résister face à dix soldats d'élites sur lui. Les autres Gammas pourraient aussi séparer les deux en immobilisant le spectre. Mais quelque chose disait à William, que les autres allaient d'abord regarder la confrontation un moment, curieux de ce combat qui s'annonçait avant d'éventuellement intervenir.

La réaction du spectre ne tarda pas. Avant même que William n'ai pu faire quoi que ce soit, une chope en verre s’était retrouvée droit sur son visage. Le soldat encaissa le choc, mais fut cette fois-ci saisit par les cheveux. Et le spectre écrasa la chope à répétition sur le visage du gamma qui une fois que celle-ci se fut briser sur lui se retrouva à semi effondré sur le bar, dos au spectre qui s’était alors moqué de lui. William dut alors reconnaître qu'il était surpris. Il s'attendait à attaque du spectre, mais pas d'une telle violence.

William resta là un court moment, reprenant ses esprits. Il savait que derrière lui, Isaac l'attendait, prêt à se battre Et comme il s'y attendait, les autres soldats s’étaient tous retournés vers la scène, observant avec attention l'évolution des choses. Après avoir craché un liquide rouge qui coulait aussi légèrement de son nez, il se retourna rapidement tout en saisissant le tabouret qui se trouvait à coté de lui. Il le projeta violemment sur le spectre et profita de la distraction pour glisser rapidement vers le spectre pour lui asséner une série de violent coups de poings terminant son enchaînement par un coup de pied sauté en plein visage de son adversaire. Cette fois-ci il était prêt au combat, capable de se défendre, dans une garde mobile, prêt à enchaîner les esquives. William était un soldat d'élite, parmi les meilleurs de l'armée. Et il comptait bien le montrer.

Les narines du spectre frémirent à l’odeur du sang qui coulait du nez du soldat, un sourire féroce se dessinant sur ses lèvres. C’était comme si tout son corps et son esprit basculaient dans un mode des plus primitifs, basé sur la survie. Car parmi les nombreuses tares récoltées à l’Internat, aucun spectre n’avait échappé à cet instinct ancestral et sauvage qui leur faisait aimer la violence, dans une société qui l’abhorrait et voulait la supprimer jusque dans les gènes. Là encore, ces êtres étaient à part, faisant partie d’une société sur le papier, sans pouvoir espérer s’y intégrer véritablement. Cette inclination pour la brutalité se faisait donc aux dépends de personnes comme William et, contrairement à de simples bagarres de bar qui pouvaient secouer certains soldats et laisser quelques souvenirs sous forme de bleus ou de bosses, celle-ci risquait en revanche d’aller beaucoup plus loin. Peut-être même trop loin si les autres Gamma n’étaient pas assez rapides.

La riposte de William ne se fit guère attendre et un tabouret vola soudainement en direction d’Isaac. D’un réflexe, il pivota légèrement sur le côté en portant ses bras à hauteur du visage pour se protéger, sachant pertinemment qu’il ne pouvait l’éviter complètement. Pile à ce moment-là, une notification apparut sur son interface oculaire : une amende pour destruction de biens, à savoir la chope ! La contravention débitait automatiquement son compte de 25 crédits européens. Quoi, déjà ? Will ne devait pas tarder à se prendre une prune pour la même chose, avec le tabouret qui avait volé en emportant dans sa course quelques bouteilles.

La distraction le força à encaisser la série de coups du soldat ; il en esquiva un ou deux, du moins en offrant comme cibles des parties moins sensibles de son corps, et recula juste assez la tête pour éviter de se faire fracturer la mâchoire. Il se mit à saigner du nez toutefois, passa la langue sur ses lèvres ensanglantées comme s’il se pourléchait les babines. Si son implant de régulation de la douleur lui évitait de se retrouver à geindre sur le vol, il servait davantage pour les blessures par balles ou par armes blanches, les lésions les plus profondes et parfois les plus retorses. Il retint son souffle avant d’expirer calmement par le nez, se sentant à la fois enivré et parfaitement lucide. William était plus fort que ce à quoi il s’attendait, pour un soldat si basique… Mais il frappait avec moins de précision et de rage qu’un enfant de l’Internat. « C’est tout ce que tu as dans le ventre ? Un gosse des bas-fonds frappe plus fort. », siffla le spectre par pure provocation.

Tandis que Will l’attendait en garde, Isaac l’observa du coin de l’œil, perçant et méfiant à la fois. Il avait l’air monté sur ressorts à avoir ainsi la bougeotte en attendant d’éviter ses coups. Probablement pour le fatiguer plus vite, ou simplement sauver sa peau… Isaac tourna autour du soldat, avant de brusquement adopter une garde très basse, les pieds écartés et les genoux fléchis, les phalanges de ses doigts repliées pour imiter les pattes d’un léopard. Il lâcha un feulement sauvage avant de pivoter sur lui-même pour asséner un enchainement de coups, pieds par le talon ou le tranchant extérieur, mains par les pointes des premières phalanges, dans des mouvements vifs et circulaires en gardant ses coudes assez proches de son torse pour pouvoir se défendre tout en attaquant. Il visait là les points les plus sensibles comme le menton, la gorge et le sternum. Peu importait si les coups portaient ou non, au bout de plusieurs secondes il changea radicalement de style pour bondir, pivoter au vol et shooter dans des bouteilles qui se trouvaient sur le comptoir pour les envoyer vers le jeune homme. Quand il atterrit, ce fut sur le bar et il s’empara d’un plateau circulaire. « Tu es… un peu lent. Trop vieux, peut-être ? Ou trop gras. »

Vous comptez payer pour ce tabouret ?

La voix du barman résonna dans son établissement plongé dans le silence. Tous les clients restaient là, murés dans le silence, observant la scène surréaliste qui se tenait devant eux. Le spectre et le gamma se faisait face, prêt à bondir l'un sur l'autre. Mais, William, bouillonnant d'une rage folle n'entendit pas la voix du barman. Alors, ce dernier haussa les épaules et retourna à ses affaires derrière lui. William prit alors une garde haute, protégeant son visage, et se tenant aussi prêt à asséner un violent coup de pied à tout ce qui s'approcherait de lui. Si le spectre s'approchait, alors, il aurait droit à un coup de pied sauté en pleine tête. Ce style de combat, très acrobatique et inspiré des arts martiaux asiatiques était de ceux que les Gammas avaient appris à maîtriser avec aussi la boxe ou encore la maniement de meurs lames rétractable. Tout ces entraînements faisaient de ces soldats d'élite de adversaire redoutables, tant à distance qu'au corps à corps. Du moins pour tout autre militaire. Pour ce qui est des spectres, les choses pouvaient être plus complexes.  

Les deux combattant se firent face un instant. La nouvelle insulte fit simplement plisser les yeux au soldat. Au stade de colère qu'il avait atteint, les insultes ne pouvaient plus lui faire quoi que ce soit. Il était uniquement mue par une envie de meurtre, souhaitant par dessus toute choses étriper l'homme qui se trouvait en face de lui. Mais, au moment ou le spectre s'était projeté sur le haut du comptoir, le primus, comprenant que les choses risquaient de mal finir, fit un signe à tous les membres de l'escouade. Alors, en un rien de temps, tous se retrouvèrent entre William et Isaac, avec la ferme intention de mettre un terme à cette bagarre.

Très bien, je crois qu'on en a assez vu.

Le primus avait prit une voix autoritaire, mais étrangement calme. Et pourtant, pour ceux qui le côtoyaient, il était évidement qu'il était sur la défensive, prêt à extirper William de la situation, par la force. Et même si il aurait certainement préféré l'éviter, il était prêt à mettre le spectre hors d'état de nuire à l'aide de toute l'escouade.